La religieuse de Guillaume Nicloux, ou l’adaptation d’un roman de Diderot dans l’air du temps…


…et assurément très critique quant aux dogmes catholiques. J’ajouterai aux dogmes religieux tout court. La religieuse est ouvertement anticlérical. L’adaptation de Guillaume Nicloux est saisissante. Injuste et effrayant, l’enfermement de Suzanne Simonin tout juste âgée de 16 ans est une punition. Une punition dont elle n’est que la victime collatérale. Et pourtant directe. Extrêmement directe. Elle paie pour une faute qu’elle n’a pas commise. Rendue responsable d’un acte dont elle est irrémédiablement irresponsable. Enfant bâtarde. Elle dérange. Mais elle ne le sait pas. Ou tout au moins pas dans l’immédiat. Elle porte un secret de famille. Lourd. Itinéraire d’une enfant qui n’aurai jamais dû naître. Les contraceptifs n’existaient pas à l’époque. Et la femme, quelle place avait-elle à cette époque ? Nébuleuse place. Elle était un utérus. Un ventre assumant la lignée. Une cachotière tricotant des mensonges pour rester digne de ce que l’on attendait d’elle. Et aussi, une amoureuse. Sa mère, italienne, mariée à l’homme qui aurait dû être, normalement, le père de Suzanne a vécu une passion. Une merveilleuse passion. Suzanne est le fruit de cette fougue interdite. Elle est le fruit défendu. A taire. A laisser pourrir. A sacrifier pour expier la faute maternelle. Rémission de l’âme maternelle à travers le noviciat de sa fille. L’amour n’est pas la priorité dans un 18eme siècle exécrablement pieux. Le devoir. Les intérêts matériels. Sous le joug des obligations immatérielles. Religieuses. Et le film est donc saisissant. Les ombres sèches inondent les lumières froides. L’ambiance glacée des couvents. L’austérité des costumes qui ne laissent entrevoir que des visages. Les corps semblent honteux tant ils sont cachés sous un amoncellement outrancier de tissus. Point de forme et d’identité dans ces cloitres de femmes vierges. Neutralité des corps. Asexué. Le fonctionnement militaire de ces prisons pour femmes-nonnes. L’aigreur du vocabulaire enrobée de bienséance et de morale. La culpabilité règne en marâtre. Et le film est d’une sensorialité étonnante. Le spectateur vit, ressent et subit l’enfermement de Suzanne. Au creux du ventre. Dans le rythme cardiaque. Les poils se dressent. Les larmes de rage mouillent les cils. La punition de Suzanne est insupportable car elle est d’une injustice intolérable. Inexplicable. Injustifiable.

Jésus sur la croix, Mont Atxulia, Pays Basque, Avril 2013

Jésus sur la croix, Mont Atxulia, Pays Basque, Avril 2013

Même si les Mères successives en appellent à Jésus, Marie et Dieu, tout puissant. Leurs comportements sont d’une immoralité affligeante. Avilissante. Honteuse. Tant elles semblent, toutes ou presque baignées dans les plus vils agissements humains. Mensonges. Jalousies. Rivalités. Obsessions. Elles sont envieuses et paumées toutes ses Sœurs et Mères. Et si les sens sont ainsi minutieusement sollicités dans ce film, c’est, à mon sens, grâce à la prouesse d’actrice de Suzanne. Pauline Etienne. Ouahh ! Quelle performance d’actrice. Je n’ai pas de mots pour décrire la justesse de son jeu. La finesse de ses gestes et de ses regards. La profondeur qu’elle offre à Suzanne. J’écris ce texte parce qu’elle m’a bouleversé dans son rôle. Je ne connaissais pas cette actrice et je suis admiratif. Joyeusement admiratif. Quelle sincérité ! Quelle simplicité ! Quelle incarnation ! Une grande actrice, j’en suis persuadé. Elle est bouleversante. Elle incarne donc Suzanne. Et Suzanne est une rebelle. Pas de gratuité dans sa rébellion. De la survie et de l’abnégation à être elle-même. Et en accord avec la parole de Dieu. On lui demande de ne pas mentir. Elle ne ment pas. Elle ne peut pas être nonne. Enfermée toute sa vie pour prier au service d’un Dieu immatériel ce n’est pas pour elle. Quelque soit la faute qu’elle doit réparer. Quelque soit la parole qu’elle a donné à sa mère. Elle ne peut pas rester enfermée dans des murs pour ne parler qu’à Dieu. Et pourtant, elle croit et est sincèrement spirituelle. Suzanne se bat. Elle se bat avec conviction. Malgré les humiliations physiques. Morales. Que lui font subir la communauté de Sœurs. Congrégation pyramidale. La Mère supérieure et ses sbires. Quand Suzanne défend sa position et combat pour sa liberté, ses comparses lui renvoient à la figure dans une sécheresse humaine qu’elle est possédée par le diable. La liberté, dans les religions, est ainsi cataloguée, dans les viscères du diable. Elle résiste. Et envoie au diable toutes ces Sœurs et Mères.

Photo de Linder Sterling, Exposition temporaire, Musée d'Art Moderne de Paris, février 2013

Photo de Linder Sterling, Exposition temporaire, Musée d’Art Moderne de Paris, février 2013

L’authenticité de Suzanne, sa soif de vie et de liberté, sont un miroir insupportable pour toutes ces nonnes qui étouffent sous le joug de l’interdit et de l’Eden à venir. Suzanne ne veut pas consacrer son corps et son âme à Dieu. Elle est douce et coriace à la fois. Quand autour d’elle, les frustrations et les méchancetés bassement humaines sont enrobées dans le pouvoir religieux, respecté, honoré et pourtant si hideux. Ici, les femmes sont voilées comme les femmes écrasées par les islamistes. Ici, la libre pensée est une offense à Dieu. Ici, se soumettre à la parole de Dieu autorise les plus abjectes actions. Tout ce qui sort des règles est une emprise du Diable. Alors Suzanne ne devient qu’une bête. Une chose. Une merde sur laquelle les autres peuvent marcher. Dans le sens primaire du terme. Suzanne se couche et les autres marchent sur son corps. Sans se rebeller. Inoffensives amazones de Dieu. Certaines lui crachent dessus. Ouvertement. Au nom de Dieu. Et que dire de cette Mère, interprétée par Isabelle Huppert, qui viole presque Suzanne. Elle est lesbienne, cette Mère, et utilise son pouvoir. Elle est désespérée surtout. En manque d’amour. Réel. Concret. L’amour de Dieu ne suffit pas. C’est triste. Affligeant.

La religieuse me bouleverse sincèrement. Nous sommes au 21eme siècle et la structure même de la religion catholique n’a pas bougé d’un poil. Célibat. Dogmes de la culpabilité, de la morale, de la faute et de la punition. Souffrir et fermer sa gueule. La liberté d’être est contre nature. Oui, je ne peux m’empêcher de penser au mariage pour tous et à la foule de croyants en furie  qui, dans leurs revendications haineuses, rejettent finalement la liberté d’être. Et à travers Suzanne, je me dis, bien que nous ne soyons plus au 18eme siècle : et, eux, ces croyants pratiquants, sont-ils assurément compétents pour élever leurs enfants ? Pour élever leurs enfants dans le respect de leur personnalité et de leur nature. Eux qui scandent « le contre nature » à tout va. Qu’est ce que la nature ? La nature est-elle dictée par une religion ? La spiritualité est-elle une prison intellectuelle ?

Frédéric B.